Pourquoi la critique du changement a du bon

Pourquoi la critique du changement a du bon

Les RH s'intéressant aux personnes, nous aimons savoir quel regard les autres disciplines portent sur ces mêmes personnes. Un modèle intéressant est celui de Bohlen, Beal et Rogers de 1957 : leur « Innovation Adoption Lifecycle Model » répartit les personnes en cinq catégories, en fonction de la vitesse à laquelle elles adoptent le changement. Un exemple classique consiste à catégoriser les consommateurs pour expliquer l’acceptation de la technologie :

  • un petit groupe de précurseurs (« innovators ») qui adoptent toujours le modèle le plus récent (importé ou non)
  • un groupe limité qui suit le mouvement assez rapidement (« early adopters ») ; les éventuelles maladies de jeunesse de la technologie concernée leur importent peu
  • un large groupe de personnes qui adoptent un regard critique positif (« early majority »)
  • un large groupe de personnes plus conservatrices, qui se montrent plus prudentes (« late majority »)
  • un groupe limité de personnes qui restent à la traîne (« laggards »)

Ce qui rend ce modèle si intéressant, c’est sa traduction simple en termes de changement dans les organisations. L’acceptation du changement s’y déroule de manière très similaire. Pour la répartition des collaborateurs, nous ne distinguerons que quatre groupes au lieu de cinq :

  • Les enthousiastes (+ +) : ce groupe restreint considère le changement comme une opportunité. Ces personnes vont souvent (trop) vite et sont des leaders actifs.
  • Les critiques positifs (+) : cet important groupe de convaincus participe activement à la réflexion, recherche des solutions aux problèmes et ne craint pas les essais et erreurs inhérents à la mise en œuvre des innovations.
  • Les critiques négatifs (-) : il s’agit d’un groupe conservateur qui demande à être convaincu. Mais s’ils constatent par eux-mêmes que le changement prend un tour positif, il est possible de les convaincre. Des chiffres et des faits tangibles peuvent suffire à les faire changer d’avis.
  • Les négatifs (- -) : ce groupe n’y croit pas. Ce sont des réfractaires au changement.

Appliquons maintenant ce modèle à l’organisation du travail innovante. Lorsque l’on souhaite procéder à un changement dans l’organisation, comme la mise en place d’équipes autodirigeantes, il semble souvent logique de s’adresser au groupe des enthousiastes. Mais ce n’est peut-être pas la meilleure idée qui soit. Les choses seront certainement plus simples avec cet unique groupe, mais le risque d’aboutir à une organisation à deux vitesses est réel. L’impression que ce groupe ait les faveurs du management peut même avoir une influence négative sur le groupe de critiques positifs (+). Bien souvent aussi, les enthousiastes ferment les yeux sur les erreurs dans le système. Ils ne s’en soucient pas, car ils croient dans le changement tout court.

Le groupe idéal à impliquer dans un projet de changement, en tant que pilote, est le deuxième groupe (+), celui des collaborateurs qui se montrent positivement critiques. Ils ne sont pas opposés au changement, mais ils examinent chaque proposition d’un regard critique. Il s’agit de cobayes idéaux, parce qu’ils recherchent les problèmes ET les solutions à ces problèmes. Complétez ce groupe en lui adjoignant un enthousiaste (++) et un critique négatif (-), et vous lui assurerez ainsi une assise plus large. Le collaborateur enthousiaste apportera son énergie et son envie de progresser ; ce n’est pas un adepte du sur-place. Le collaborateur critique négatif, quant à lui, attirera l’attention sur toutes les erreurs afin d’y remédier et non dans le but de démolir le projet de changement.

Par la suite, ce dernier groupe (-) sera aussi le meilleur avocat du changement à travers toute l’organisation, puisqu’il s’agit d’individus (re)connus pour être des collègues particulièrement critiques. Le groupe pourra plus que probablement répondre – avec assurance – à une remarque telle que « Avez-vous bien pensé à ceci ou à cela ? » par « Oui, et c’est la raison pour laquelle nous avons apporté telle ou telle modification ». Cela est non seulement incroyablement positif pour la crédibilité de votre projet de changement, mais celui-ci étant défendu par des collaborateurs de terrain au lieu d’être simplement présenté par la direction, il échappera aussi à toute logique clivante (nous contre eux). « Testé et approuvé par des utilisateurs comme vous » constitue un label de qualité en béton.

Dans un prochain blog, nous aborderons le thème de la gestion du changement (« change management »). Car le changement ne se fait pas tout seul.

Share this article