Le Parrain ferait-il un bon CEO ?

Le Parrain ferait-il un bon CEO ?

Certes, il y a beaucoup à dire sur le style de vie et le choix de carrière du personnage emblématique de Mario Puzo, Don Vito Corleone. Mais si nous en faisons abstraction, comment évaluons-nous alors ses qualités de leadership ? Son profil répondrait-il aux défis auxquels doit faire face un CEO ?

Mario Puzo a publié son chef-d’œuvre fin des années 60, mais décrivait des histoires se déroulant durant les premières années suivant la Seconde Guerre mondiale. Celles-ci s’inscrivent dès lors dans un contexte de prospérité économique, ce qui fait que le Parrain enchaîne les succès financiers. Nous y trouvons des concepts de management historiques, qui ont persisté jusque tard dans le 20e siècle. Mais sont-ils encore adaptés pour le 21e siècle ?

Les atouts du Parrain

Don Vito Corleone s’entoure d’un conseil consultatif, essentiellement composé d’enfants biologiques et de son fils adoptif et consigliere (conseiller), Tom Hagen. Pour le Parrain, tous les liens au sein de la Famiglia ne doivent pas nécessairement être de sang. Il s’agit d’un atout absolu pour solliciter des conseils et ne pas prendre de décisions unilatérales, tel un Monsieur je-sais-tout. Mais n’impliquer que des personnes internes à l’entreprise familiale comporte également un piège, car leur vision des choses peut s’avérer limitée. Ainsi la vision créative émanant de l’extérieur peut-elle faire défaut et des opportunités peuvent-elles être manquées.

Un des passages les plus remarquables du livre de Mario Puzo est probablement la réunion au sommet qu’organise le Parrain et qui réunit tous les membres de la Famiglia. Ce qui peut apparaître comme un signe de faiblesse montre, au contraire, la force du réseau – un réseau qui ne se compose pas uniquement de la famille, des fournisseurs et clients, mais où la « concurrence » directe tient également un rôle important. Le Parrain est en tout cas très doué pour établir et entretenir les relations.

Le monde du Parrain se caractérise par une organisation efficace où les collaborateurs suivent aveuglément la vision du grand chef et où la loyauté tient le haut du pavé. Bien qu’au 21e siècle l’on préfère donner un droit de parole à chacun, cela n’a de sens que lorsque chacun souscrit également à la vision d’avenir de l’organisation. Pour le Parrain, l’intérêt collectif prime sur l’intérêt personnel. Pour Don Corleone, les deux se confondent quelque peu, mais il n’en va pas de même pour les autres membres de la Famiglia. Or, ceux-ci ne réussissent – à long terme – que lorsqu’ils suivent la ligne de conduite du Parrain et qu’ils optent pour l’intérêt du groupe.

Le Parrain ose faire confiance mais suit également l’exécution. Il délègue immédiatement afin que tout le monde dans la Famiglia puisse jouer un rôle et se sente impliqué, mais il veille aussi à ce que les tâches soient effectuées par les bonnes personnes. Il fait confiance aux nouveaux en leur permettant de faire équipe avec un expérimenté, tout en les surveillant de près. Le mentoring que prévoient Don Vito et Tom pour le nouveau Don, Michael Corleone, en est le meilleur exemple. Ce n’est qu’en se voyant octroyer la confiance qu’un collaborateur peut s’épanouir dans un nouveau rôle. Et c’est plutôt objectif puisque le lien de sang ne donne pas lieu à un traitement de faveur.

Mais avec ce profil, le Parrain pourrait-il également occuper la fonction de CEO au 21e siècle ?

Le CEO du 21e siècle n’est pas renfermé. On attend de lui/d’elle une histoire inspirante. Il est dès lors crucial qu’il laisse entrer le monde extérieur ; non seulement lui, mais aussi tous les collaborateurs de l’organisation. C’est une des missions du CEO que d’encourager chacun à enrichir l’organisation en regardant vers l’extérieur : repérer les expériences positives des autres entreprises, détecter les opportunités mais aussi les pièges et les faire entrer dans l’entreprise. Le CEO du 21e siècle laisse ensuite le soin aux équipes d’experts internes de développer l’organisation sur cette base. Il assure la connexion et les contacts externes afin de donner forme au fonctionnement interne. Les forces du CEO de demain résident donc dans sa capacité à communiquer, connecter, faire preuve de curiosité, réaliser des analyses solides et détecter les occasions, non pas au niveau micro ou méso mais au niveau macro, stratégique et visionnaire. La force ultime du CEO du 21e siècle, c’est son charisme. Toutefois, il serait erroné de ne voir dans le CEO qu’un inspirateur et visionnaire passionné. Les équipes de direction et/ou de management doivent également travailler comme de véritables équipes, en collaboration avec le CEO. Ensemble, elles peuvent ainsi renforcer l’organisation avec leur propre regard et l’inspiration acquise ailleurs. Elles peuvent nourrir le dialogue interne de toutes sortes de voix et influences extérieures. Qui sait... les RH peuvent avoir une bonne idée à propos de la production, ou les finances à propos de la R&D. Les nouvelles idées émergent quand on sort de la zone de confort de sa bulle ou de sa chambre d’écho, quand on cherche l’aventure.

Comment se profilerait le Parrain si nous l’évaluions sur ces forces ?

S’il s’agit d’évaluer son talent à s’attirer la loyauté et l’implication de ses collaborateurs, il marque des points. Mais l’implication seule n’est pas suffisante. Les collaborateurs doivent ensuite s’atteler à réaliser activement la vision de l’organisation. L’implication doit susciter l’envie et la passion, l’enthousiasme pour la vision de l’organisation, afin de la mettre en œuvre avec une énergie débordante. Le Parrain affiche également de bons résultats lorsqu’il s’agit de transmettre une vision et de faire en sorte que tous les collaborateurs de l’organisation y adhèrent.

Le Parrain a recours à un conseil consultatif pour pouvoir prendre les bonnes décisions. Il aurait tout intérêt à inverser l’ordre des choses. Il vaut mieux en effet transformer le conseil consultatif en un collectif d’experts qui, avec la vision et l’inspiration du CEO, œuvre à mettre en mouvement l’organisation. Comme le Parrain aime déléguer pour que les affaires soient réglées, le lâcher prise est probablement une bonne chose. Et le suivi rigoureux de l’exécution des actions doit évoluer vers la confiance et le suivi des résultats annuels ou trimestriels. Le micromanagement par un CEO empêche toute pensée stratégique et visionnaire à long terme.

Bref, le style de leadership du Parrain convient plutôt à une organisation du passé que du futur. Oser faire confiance et s’ouvrir au monde extérieur constituent les atouts sur lesquels un CEO doit miser pour avoir une longueur d’avance, surtout lorsque l’on sait que la concurrence à l’avenir ne viendra certainement pas de son concurrent historique. Il faut construire une organisation depuis la base en faisant confiance aux collaborateurs, de sorte que le CEO ou, mieux encore, chacun dans l’organisation et surtout l’équipe de direction ou management puissent trouver du temps pour explorer le monde extérieur et se laisser inspirer. L’organisation n’en sera que plus forte.

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